Les leçons à tirer de cette affaire
Une erreur judiciaire de plus ?
Selon le célèbre avocat français René FLORIOT “l’homme le plus honnête, le plus respecté, peut être un jour victime de la justice. Vous êtes bon père, bon époux, peu importe. Quelle fatalité pourrait un jour vous faire passer pour un malhonnête homme, voire un criminel ? Cette fatalité existe, elle porte un nom : l’erreur judiciaire.”
J’ai été condamné en novembre 2006 à Grenoble et innocenté en février 2009 à Lyon. Les juges des deux Cours d’Appel ont rendu deux décisions en contradiction totale, alors qu’ils étaient saisis du même dossier et confrontés aux mêmes faits, aux mêmes réalités.
Cette situation peut choquer. Elle peut d’autant plus nous interpeller que ce “dysfonctionnement” du système judiciaire français n’est pas unique et qu’il peut tous nous concerner un jour.
Souvenez-vous de l’affaire d’OUTREAU, de ces nombreuses personnes accusées d’abus sexuels sur mineurs, jetées à la vindicte populaire, séparées de leurs familles, dépossédées de leurs biens, maintenues en détention provisoire en prison, pour certaines pendant plus de trois ans sur la seule foi de déclarations mensongères ou inexactes de certains adultes et enfants, condamnées en 2004 puis acquittées, c’est-à-dire innocentées, en 2005.
Souvenez-vous de l’affaire Patrick DILS, condamné en 1989, à l’âge de 17 ans, à la réclusion criminelle à perpétuité pour meurtre puis innocenté en 2002, après avoir passé quinze ans de sa vie en prison, victime d’une erreur judiciaire.
Souvenez-vous de l’affaire Guy MAUVILLAIN, condamné en 1975 à dix-huit ans de réclusion pour le meurtre d’une vieille femme, rejugé et acquitté en 1985.
Souvenez-vous de l’affaire Roland AGRET, condamné en 1970 à quinze ans de réclusion pour avoir été l’instigateur d’un meurtre, libéré en 1977 par grâce présidentielle (pour des raisons médicales) après une grève de la faim d’un an et vingt-huit jours, rejugé et acquitté en 1985. Pour obtenir son procès de révision, il est allé jusqu’à se couper deux phalanges et les envoyer au Garde des Sceaux.
Fort heureusement je n’ai pas subi ces affres. Fort heureusement je n’ai pas été démis de mes mandats. Fort heureusement j’ai échappé à une erreur judiciaire même si j’ai toutefois dû verser à tort plus de 9500 Euros à la famille GHEZZAL, somme qui ne m’a toujours pas été remboursée.
J’ai pu échapper à une erreur judiciaire parce que, outre les erreurs manifestes d’appréciation qu’elle a commise sur la réalité des faits, la Cour d’Appel de Grenoble, qui m’avait condamné en novembre 2006, a “méconnu les textes et principes de la Loi”. C’est cette erreur sur l’application de la Loi qui m’a permis de saisir la Cour de Cassation, qui m’a permis de faire annuler le jugement de la Cour d’Appel de Grenoble, qui m’a permis d’être rejugé par des magistrats qui ne m’ont pas présumé coupable, qui ont cherché et rétabli la vérité.
Ce qui caractérise cette affaire, comme les erreurs judiciaires évoquées ci-dessus, c’est qu’elle repose sur l’intime conviction des juges.
Les limites de l’intime conviction
C’est sous la Révolution que le législateur a décidé de faire appel à l’intime conviction du juge.
Depuis, la Loi fait appel à la raison et la conscience des individus pour juger. Elle demande aux jurés comme aux juges d’examiner les éléments à charge et à décharge selon leur raison et leur conscience et se former ainsi une intime conviction.
Ce système a ses limites parce que le même élément de preuve peut être interprété à charge ou à décharge selon la conscience de chacun. La comparaison des jugements des 2 Cours d’Appel l’illustre parfaitement.
Personne ne peut nier que le magistrat, quand il fait appel à sa conscience, à son intime conviction pour juger, est forcément influencé par son histoire personnelle, par ses expériences heureuses ou malheureuses, par son idéologie, par ses pulsions, par ses affects.
La liberté d’un homme, son honneur, son destin, peuvent-ils seulement dépendre de l’intime conviction de quelques individus qui ont le pouvoir de juger, de surcroît quand ceux-ci ne veulent pas voir la réalité :
– en refusant d’admettre qu’une maison à la toiture vieillissante a moins de valeur qu’une maison au toit refait à neuf,
– en refusant d’admettre aussi qu’un chemin piétonnier de 64 mètres c’est plus court et plus sûr qu’un cheminement de 1500 mètres le long d’une route départementale,
– en refusant de voir qu’une bande de jardin de 3,5 mètres de large permet la réalisation d’un chemin sans forcément traverser le salon d’une maison…
L’intime conviction a montré dans cette affaire, comme dans d’autres, toutes ses limites. La réforme de notre système judiciaire s’impose.